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Chasse en Autriche : Aventure à l'Affût dans les Montagnes de la Carynthie

Il est presque midi lorsque nous franchissons la frontière autrichienne. Quittant la Slovénie, nous nous engageons sur les lacets des routes montagneuses de la Carynthie voisine. Le temps est superbe pour ce début d’octobre, et les panoramas déjà grandioses. Une heure plus tard, voilà que nous quittons la route. Nous montons encore, sur un chemin toujours plus rocailleux, à travers une forêt de sapins. A notre gauche, le paysage se dévoile, époustouflant. Nous arrivons finalement au sommet, où nous prenons possession de nos quartiers pour les deux jours qui viennent. Le temps de se restaurer et de se préparer, il est 16h00 et nous sommes rejoints par Christian, notre guide, et son chien, un rouge de Hanovre aussi avenant que musculeux. La chasse se fera à l’affût, au mirador (« orsitz »), nous chasserons tous grands gibiers, à l’exception des grands cerfs de plus de quatre ans.


Nous nous répartissons en binômes et grimpons dans les deux pick-up affrétés pour l’occasion. Nos hôtes, pour nous éviter les contraintes du transport, ont eu la gentillesse de nous procurer à chacun une carabine. J’hérite ainsi d’une ravissante « stützen » en 7x57 - les Autrichiens privilégient des calibres tendus et légers pour ce type de chasse. Très vite nous prenons conscience de la beauté de ce que nous allons vivre : à perte de vue, des montagnes verdoyantes, des forêts de sapins, un ciel d’un bleu immaculé. Après un quart d’heure de piste, nous voici à notre poste. Le mirador surplombe la vallée, elle-même traversée par un étroit ruisseau qui serpente à travers les sapins. Tout cela est sublime. Ne manquent plus que les animaux. Nous sommes à peine installés, et déjà le coeur s’emballe : là, à cent mètres devant nous, un cerf superbe, portant dix ou douze. Nous ne l’avons vu que deux secondes, peut-être trois, avant qu’il ne disparaisse sous la voûte protectrice des branches basses des résineux. Nous restons presque estomaqués, et nous regardons avec un grand sourire. Ce cerf était bien trop beau pour que nous le tirions, mais quelle scène ! Il aura la gentillesse de passer un moment avec nos amis dans le « orsitz" plus loin, se faisant photographier docilement.

Le reste de l’après-midi est bien plus calme. Une balle retentit au loin ; un des nôtres a salué un brocard. Les cerfs brament tout autour de nous, la chasse est finie, qu’importe. Que ce moment fut beau.


De retour à la maison, nous profitons d’un excellent dîner et de quelques bouteilles de vins autrichiens, devisant sous les innombrables trophées qui attestent de la passion de nos hôtes pour ces superbes animaux. Mais pas question de veiller. Réveil 5h30.

A l’heure dite, Christian est là, nous sommes parés et grimpons à l’arrière des véhicules. Il fait encore nuit noire quand nous arrivons à notre poste, un « orsitz » de six ou sept mètres de haut. Je m’installe, je ne vois rien, devinant à peine les troncs des arbres devant moi. Je découvre ainsi mon poste et cette chasse que je ne connais pas, le jour naissant me dévoilant à l’envi là une branche, là une souche, et toutes ces choses qui sont là maintenant et que je ne soupçonnais pas il y’a quelques minutes. Après avoir lutté quelques instants contre le sommeil, m’assoupissant presque sur la crosse de mon arme, je suis désormais aux aguets, les sens en éveil. Mais il est encore tôt, très tôt, et si je vois bien la bande de taillis à droite et la trouée devant moi, je ne distingue presque rien sous les arbres. Par acquis de conscience, comme l’a déjà fait tout chasseur, je jette un oeil dans la lunette de ma carabine, essayant de discerner un peu plus précisément ce qui se passe devant moi. Et là, soudain, je murmure à mon ami : « Boris, y’a une biche ! ». Il n’a pas eu le temps de porter ses jumelles à ses yeux, la balle a claqué dans la nuit, l’animal s’est enfui. Il était 6h38.


Je tremble de tous mes membres. Tout s’est passé en quelques secondes tout au plus. La biche a disparu sous les arbres et moi, je me sens tout penaud, vexé d’avoir raté cette occasion en or, moi qui pensais avoir fait une bonne balle. J’imagine déjà les quolibets de mes compagnons, eux que mon coup de carabine a privé de nouvelles rencontres pour cette matinée. Mais là encore : quel souvenir ! Et puis quelque part une partie de moi est soulagée. A 7h45 nous descendons de nos miradors. Le jour est bien installé maintenant, et il est temps de rentrer. Mais avant, bien sûr je vais vérifier mon tir. Je grimpe, maugréant, le flanc de cette montagne sublime où dardent les premiers rayons du soleil, mon observateur derrière moi. Nous faisons 80, 100, 120 mètres. Déjà Boris fait demi-tour. 150 mètres. Mon coeur s’arrête. Je lance encore un « Boris ! » et lui montre le sol. Il y’a du sang. Beaucoup de sang. Du sang épais. Là l’espoir revient, mais la crainte aussi ; celle d’avoir blessé cet animal, de ne pas le retrouver. Christian arrive, et après une brève recherche, nous fait comprendre qu’il préfère s’en charger seul.

Nous redescendons ainsi, racontant notre mésaventure à nos six compagnons, moins heureux que nous, n’attendant plus que le rapport de Christian. Rentrés à la maison, la plupart d’entre nous retourne se coucher. De mon côté, une seule chose m’occupe l’esprit : la retrouvera-t-il ? La matinée se passe ainsi, rongé d’incertitude. Je n’ai qu’une crainte, que la biche souffre, qu’elle soit loin, blessée, introuvable. Je m’en voudrais longtemps, très longtemps. Soudain on frappe à ma porte : « Brice, le garde-chasse est là » Je jaillis hors de la maison, et effectivement Christian est bien là ; et la biche aussi. Ma première impression était bonne : balle de poumon. Elle a fait cent-cinquante mètres et s’est effondrée rapidement. A cet instant tout se mélange dans ma tête, je pense à beaucoup de choses devant cet animal magnifique : il y’a de la culpabilité, un peu de tristesse, mais aussi un grand soulagement, et je dois le dire un petit peu de fierté. Je remercie chaudement mon guide, qui s’éloigne, me laissant là avec mon tourbillon d’émotions. Et moi, je vais m’asseoir quelques pas plus loin, face à cette montagne sublime, contemplant l’infini et, dévissant ma flasque, je bois une gorgée de schnaps à « ma » biche et au moment inoubliable que l’Autriche vient de m’offrir. Waidman danke

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